Tartuffe ou l’Imposteur.
L’histoire, tout le monde la connait: un étranger s’introduit dans une maison bourgeoise. Il réussi à obtenir du père la donation de tous ses biens et la main de sa fille alors qu’il tente de séduire la mère. Voilà toute l’affaire. Philippe Ferran, metteur en scène, s’attaque ici à un monument du théâtre classique. Car là est bien le défi: comment monter Tartuffe aujourd’hui?
La compagnie Carabistouilles & Cie a basé son travail sur l’obsession de la sincérité si chère à Molière. Comme le souligne Philippe Ferran: Monter Molière maintenant, c’est rendre compte de cette découverte insoutenable que l’apparence des choses parlent pour la chose elle-même.
Ainsi, tout le spectacle est articulé autour de l’idée d’imposture. Lorsque le public entre, les comédiens sont déjà là. Ils s’échauffent, se préparent à entrer en scène, à jouer la comédie. Sous les costumes d’époque, les jeans dépassent, les téléphones portables sonnent. Vont-ils jouer? Jouent-ils déjà? Quel est cet homme qui finit son repas chinois devant son MAC Book?
Cette ambiguïté donne l’élan de la première scène et nous passons en un clin d’oeil de la réalité au jeu…ou peut être est-ce l’inverse?
Nous voilà plongés subitement au cœur de l’œuvre de Molière. Mélangeant la réalité aux faux semblants, Philippe Ferran nous promène avec légèreté entre deux mondes qui se chevauchent: la maison d’Orgon où l’intrigue se déroule et la scène du Théâtre ou les techniciens changent les décors à vue, participant eux aussi à la représentation. Parfois personnages de la pièce eux mêmes, ils jonglent d’un univers à l’autre d’une façon un peu déroutante pour le spectateur. Tout cela tente à nous montrer qu’il suffit d’un rien pour changer les apparences…
C’est autour de ce même principe que le personnage de Tartuffe est construit. Sans costume d’époque, il semble venir d’ailleurs et être intemporel. Loin des clichés dont on a souvent alourdi le personnage, il est simplement lui-même. Veut-il vraiment de la main de Marianne? Et la fortune d’Orgon? Ne lui donne t-on pas plus qu’il ne la vole? Ici, Tartuffe ne prend que ce qu’on veut bien lui donner. Il courtise Elmire? Cet amour n’est-il pas honnête? Car c’est peut être bien là son plus grand crime: sa sincérité.
Le plateau du Théâtre Rouge du Lucernaire est pratiquement vide. Des panneaux modulables en fond de scène ne sont là que pour servir les entrées et sorties des comédiens. Seule la table nécessaire à la fameuse scène entre Elmire et Tartuffe se fait presque oublier dans un coin du plateau.
Le texte difficile et exigent est servi par des comédiens d’une grande justesse et c’est ce qui fait la force de ce spectacle. L’ interprétation est précise, inventive et ne cède jamais à la facilité. Ils sont dix, tous incarnant leur personnage avec force et intelligence.
Pendant deux heures, nous ne perdons pas une miette du texte de Molière, ce qui est assez rare pour être souligné. En sortant, je me surprends à vouloir le réentendre, encore. C’est jouissif, drôle, touchant.
Dans une société où l’image s’est substituée au propos, l’oeuvre de Molière est frappante d’actualité. Oui, Tartuffe a encore quelque chose à nous dire aujourd’hui et il nous le dit ici avec talent.
Chroniqueuse: Alice Dubois